VOL.6-N° 11, Juil. 2023 : Villes, activités économiques et santé en Afrique

6 |ANALYSE SOCIOLOGIQUE DE LA MORTALITE MASSIVE DE POISSONS DANS LES ZONES RURALES DE SIBY ET DE SEKAKO AU BURKINA FASO

SOCIOLOGICAL ANALYSIS OF MASS FISH MORTALITY IN THE RURAL AREAS OF SIBY AND SEKAKO IN BURKINA FASO

Auteurs

  • OUEDRAOGO Félix statut felixouedraogo99@gmail.com, Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST)

Mots-clés:

Résumé

Ces dernières années, les catastrophes naturelles causées par l'utilisation incontrôlée de produits chimiques se sont fréquemment produites en Afrique. Au Burkina Faso, des morts suspectes de poissons et du bétail près du fleuve Mouhoun (Siby et Sékako) en juillet 2021 ont inquiété l'opinion publique nationale et suscité une réaction rapide des autorités. Tous se sont inquiétés de la récurrence d’un phénomène à même d’affecter la santé humaine, la flore et la faune. Ainsi, lorsque le phénomène s'est produit, les autorités burkinabès ont enjoint les agences techniques chargées de l'eau et de l'assainissement, ainsi que les autorités locales, de déterminer la véritable cause de ce phénomène afin de prendre des mesures à même de le circonscrire.
Grâce à une approche de recherche qualitative, les entretiens avec les acteurs impliqués dans le phénomène ont indiqué qu'une fois les premières observations faites, le personnel du service technique de l'ONEA s'est rendu sur le site afin de poursuivre le prélèvement et l'analyse des échantillons d'eau du fleuve Mouhoun. Ils ont ensuite conclu que la mort des poissons était due à la turbidité élevée de l’eau causée par les labours de présaison. Cette version a été soutenue par les orpailleurs, mais a été rejetée par les habitants de Siby et Sekako, ainsi que par les autorités locales. Pour ces derniers, l'utilisation effrénée du cyanure par les chercheurs d'or est à l'origine du phénomène.

Introduction

Le 30 janvier 2000, la commission Européenne indiquait qu’environ 1000 tonnes de cyanures déversés dans une rivière de 2000 km située à Danube (Hongrie) ont provoqué la mort de 50 tonnes de poissons (P. M. Digbeu, 2017, p.5). Ce fait rappelle la dangerosité de l’usage ou du transport non contrôlé des produits chimiques entrant dans la production de l’or.
En Afrique l’exploitation de l’or a provoqué d’importants d’importants dégâts environnementaux. Selon F.B Cissé (2019), l'extraction des produits miniers, en particulier l'extraction de l'or, est l'une des pratiques les plus dommageables pour l'environnement, en particulier dans les pays producteurs d'Afrique. C’est ainsi que le PNUE (2001, p. 2) dans son rapport intitulé "Évaluation des progrès du développement durable à Rio, Afrique, 1992" montre que les pays africains sont toujours confrontés à un nouvel ensemble de perspectives et de menaces environnementales provoquées entre autre par une surexploitation des ressources naturelles.
Ces dernières années, la province des Balés au Burkina Faso est au centre d’une actualité socio environnementale majeure suite à la mort jugée suspecte de poissons et d’autres animaux dans et aux abords du ‘‘Mouhoun’’, le plus grand cours d’eau du Burkina Faso. En effet, dans le mois de juillet 2021, les autorités de ladite province ont publié un communiqué faisant cas de la mort de plusieurs tonnes de poissons et d’autres animaux, estimant que ces bêtes auraient été empoisonnées par des produits chimiques usuellement utilisés par les orpailleurs. Cette situation met en lumière le phénomène de la pollution de l’environnement par des actions de nature anthropiques telles que l’orpaillage traditionnel (K. F. Kouadio, 2016, p.46).
Pour le cas de Siby et de Sékako, plusieurs hypothèses avaient été évoquées. Tandis que les services techniques de l’office national de l’eau du Burkina Faso évoquaient une soudaine turbidité de l’eau, symbole d’une eau très trouble dans laquelle les poissons peuvent mourir par suite de difficultés respiratoires, d’autres structures telles que l’ANEMAS ont évoqué la possibilité d’une contamination des eaux au cyanure du fait de l’orpaillage traditionnel non maitrisé. En effet, selon des services des eaux et forêts, la zone concernée abrite près de 10000 orpailleurs. Dans leurs activés de traitement de l’or, ces orpailleurs utilisent des produits chimiques nuisibles pour la l’homme la faune et la flore. Il y’a donc un risque de pollution des eaux à proximité et des autres ressources naturelles[1]. Pour Meeussen et al.(1992), le cyanure peut atteindre les eaux de surface par ruissellement et les eaux souterraines par osmose.
Le constat fait est que ces deux explications d’ordres techniques semblent contradictoires. Il est donc important au sens de P.L. Delville (1998) d’identifier tous les acteurs concernés par le phénomène (population, administration, autorités locales, orpailleurs), d’apprécier leurs légitimités et de prendre en compte leurs points de vue et leurs logiques d’action.
Au regard de ces faits, il nous ait apparu nécessaire d’investir le terrain afin d’apporter un éclairage scientifique au phénomène. C’est dans cette optique que nous menons cette recherche sociologique afin d’analyser les différentes perceptions des acteurs des localités cibles sur le phénomène de la mort suspecte de poissons dans les communes rurales de Siby et de Sékako. Et de proposer des mesures préventives. Dès lors, nous nous posons les questions suivantes : quelles sont les causes de la mort suspecte de poissons dans les zones rurales de Siby et de Sékako ?
 Comment agir dans le sens de la prévention du phénomène de pollution des eaux au Burkina Faso ?
Les interrogations ci-dessus formulées appellent à une analyse de type fonctionnaliste du phénomène afin de mettre en lumières les avis, rôles et responsabilités des différents acteurs de la gestion de l’environnement.

1.Approche théorique

Représentations de l’environnement et multiplicité d’acteurs ; une approche fonctionnaliste de la protection de l’environnement
Les questions liées à l'environnement jouent un rôle dans diverses manifestations liées au statut social et à la diversité logique des acteurs impliqués. Ainsi, dans la mise en œuvre d'actions environnementales telles que la mise en place de pratiques jugées plus respectueuses de l'environnement, plusieurs acteurs interviennent : l'acteur agissant, les parties prenantes externes, les partenaires techniques et financiers, les pouvoirs publics, etc. Pour analyser le fait qu'il y ait un impact sur l'environnement, il faut s'interroger sur les perceptions des gens et même sur les déclarations de différents acteurs impliqués dans le phénomène. Comme le précise W. Doise (1990), les représentations sociales ne sont pas toujours cohérentes face à différents acteurs tels que les acteurs extérieurs et les populations rurales. Ainsi, P.L. Delville (1998) propose de reconnaître la diversité et la légitimité des acteurs et des logiques en présence. Ceci signifie qu’il est important d’accepter le point de vue des populations qui habitent, exploitent et transforment le milieu. Pour cela, il est nécessaire d'appréhender les pratiques d'aménagement et de gestion de l'environnement non seulement du point de vue des techniciens et des autorités administratives concernées, mais surtout du point de vue des acteurs locaux. P.L. Delville (1998) soutient qu'au-delà même de cette description, il faut s'intéresser à ce que les ruraux connaissent de l'environnement qu'ils utilisent, la manière dont ils le décrivent, les modes locaux de gestion des ressources, et la manière dont ils s'expriment. 
Dans la présente étude, nous avons analysé les opinions, les croyances et les déclarations de divers participants concernant le phénomène de pollution de l'eau du Mouhoun impliquant la mort subite de poissons et d'autres animaux domestiques. Cette perspective de recherche impose une démarche méthodologique permettant de saisir les sens apparents ou cachés des discours des différents acteurs interagissant autour des phénomènes socio-environnementaux.
[1] https://www.aib.media/2021/07/08/baleles-eaux-du-fleuve-mouhoun-encore-intoxiquees/

Méthodologie

2. Méthodologie de la recherche

2.1. Approche du terrain

L’étude a été menée dans la province des Balés (Boromo), précisément dans le département de Siby et dans le village de Sékako.
Dans le cadre de la présente étude, l’équipe de recherche a adopté une méthodologie basée sur des approches qualitatives de collecte de données. À travers les thèmes, les questions suscitées, la collecte des données a laissé une vaste liberté d’expression à toutes les opinions de toutes les parties concernées par le phénomène étudié. Elle s’est fondée sur la participation des différentes catégories d’acteurs en tenant compte de leurs spécificités socioéconomiques.

2.2. La collecte des données

2.2.1. La recherche documentaire
L’équipe a exploité des rapports de terrain établis par les institutions concernées par le phénomène et ayant effectué des missions de constats ou d’analyse du phénomène. Elle a effectué une analyse documentaire des différents documents et textes de loi encadrant les activités minières, les rapports de terrain ainsi que les études sur la région de la Boucle du Mouhoun.
2.2.2. Les enquêtes qualitatives
Elles nous ont amenés à mobiliser des techniques de collecte de données telles que l’entretien semi-directif et le focus group.
À travers les entretiens semi-directifs, il s’est agi de collecter des informations sur le phénomène de la mort de tonnes de poissons et de quelques ruminants dans la commune de Siby sur la base des informations, des opinions et des attitudes recensées. Un guide d’entretien a été conçu à cet effet. Des entretiens ont ainsi été menés auprès des populations des zones concernées, des autorités locales de la province des Balès, celles de la commune de Siby, les autorités coutumières de Siby et de Sékako, les acteurs de la santé et de la sécurité, l’ANEMAS, les acteurs du secteur de l’eau et de l’assainissement, les acteurs du ministère de l’Agriculture et tous autres acteurs concernés par le fait étudié.  Par conséquent, ce guide d'entretien a abordé des items permettant d’obtenir des informations sur les causes du phénomène, les facteurs ayant favorisé le phénomène, les facteurs de risques de pollution du fleuve, les implications socioéconomiques et sanitaires.
2.2.3. Le focus group
Cette technique de collecte de données a été utilisée pour saisir les opinions des populations sur le phénomène. Le focus group nous a conduit à réunir des profils différents de participants concernés par le phénomène afin de susciter des réactions variées, voire contradictoires.

2.3. Le traitement et analyse des données

Le traitement des données issues de la revue documentaire a nécessité plusieurs opérations imbriquées : la lecture ou relecture des documents spécifiques sur la thématique, le marquage des passages les plus intéressants, l’inventaire sous des formes permettant de sélectionner dans la masse de données les informations les plus importantes pour l’étude et de les classer sous orientation thématique (S. Alami et al. 2019). Nous avons ainsi retenu les orientations thématiques suivantes : « l’orpaillage en Afrique ; les conséquences de l’orpaillage traditionnel en Afrique ; l’orpaillage au Burkina Faso, Activité minière et pollution de l’environnement ; pollution des eaux ; Cause de la turbidité des eaux en Afrique ».
Quant aux entretiens semi-directifs, ils ont fait l’objet d’analyses de contenu (Campenhoudt L V.et al., 2017 ; Nda P. 2006). Nous avons ainsi réalisé une analyse lexicométrique des données collectées afin saisir la structure, les valeurs exprimées, le sens et les caractéristiques signifiantes en relation avec le phénomène étudié.
Les données issues des focus groups ont également été traitées par la technique d’analyse de contenu.

Résultats

3. Résultats

Il s’est agi dans cette partie du travail de faire le point des données relatives aux points de vue des différents acteurs concernés par le phénomène socio- sanitaire et écologique faisant suite à la mort massive de poissons dans et aux abords du fleuve Mouhoun.

3.1. Incidents antérieurs

En 2009 déjà, dans le réservoir d’eau de Markoye, environ 200 bœufs sont morts après avoir consommé l’eau de la retenue. Le mauvais traitement des produits chimiques tels que le cyanure par la mine d’or de Essakane avait été mis en cause. Le cas relaté est donc la dernière en date d’une succession de trouble de pollutions enregistrées au Burkina Faso. En raison de l’indignation générale et de la couverture médiatique y relatif, le dernier phénomène a fait l’objet d’une attention particulière de la part du gouvernement du Burkina Faso. C’est ainsi que les autorités administratives compétentes ont été enjointes de faire la lumière sur le phénomène.
A l’échelle locale également des enquêtes ont été menées pour identifier les différentes causes possibles du phénomène. Cette pluralité d’action a donné lieu à des analyses tantôt convergentes, tantôt divergentes du phénomène.
En 2011, ce sont 40 tonnes de cyanure en partance pour la mine d’or d’Inata dans le Nod du Burkina Faso qui se sont renversées dans le barrage de Djibo. Cette catastrophe environnementale a été attribuée à la maladresse du chauffeur de camion qui transportait les 40 tonnes de cyanure. Cette pollution de l’eau du Barrage aurait entrainé la mort de plusieurs espèces de poissons. Elle aurait également suscité une forte probabilité de fuite de petites quantités de cyanure dans la nature. Une mise en quarantaine du Barrage fut décidée par les pouvoirs publics de l’époque en attendant une analyse claire de la toxicité de l’eau dudit barrage.
Ces faits précédant le drame écologique de Siby et de Sékako posent le problème de l’impact des exploitations minières formelles ou informelles sur l’environnement et sur la santé humaine. Il devient donc fondamental de déterminer les causes réelles de ce type de phénomène afin de pouvoir prendre des mesures prospectives à même de permettre la réalisation des activités minières dans un environnement sain et maitrisé.
Le fleuve Mouhoun est le plus grand des fleuves du Burkina Faso, il traverse la province des Balés et constitue de ce fait une source de revenus pour les habitants qui l’exploitent. Ainsi des activités telles que l’agriculture, l’élevage du bétail et la pêche s’y sont dynamisés au fil des années, faisant du département Siby, un pôle économique majeur de la province des Balés. L’indicent faisant suite à la mort de poissons en masse et de bétail (bœufs) révèle toutes la complexité de la mise en œuvre d’activités à risque de pollution dans un environnement sain. Pour le cas de Siby et de sékako, les avis divergent sur les causes réelles du phénomène.

3.2. Les causes de la mort massive de poissons aux abords du fleuve Mouhoun

De la turbidité de l’eau ou la version des autorités de l’Office National des Eaux et de l’Assainissement (ONEA) et des orpailleurs
Dans le cadre de nos entretiens avec les différents acteurs concernés par le phénomène de la mort de poissons et de ruminants, les avis et les analyses divergent. Nos données indiquent que plusieurs institutions se sont rendues à Sékako pour constater et établir les causes du phénomène.  Parmis ces acteurs ont figuré, des responsables administratifs et des agents techniques de l’Agence de l’Eau du Mouhoun(AEM), le Bureau des Mines et de la Géologie du Burkina Faso (BUMNIGEB), le Ministère des ressources animales, le Ministère de l’Environnement et celui de l’agriculture, des responsables de collectivités territoriales tels que le Haut-commissariat de Boromo, le maire et le préfet de Siby.  Le rapport émanant de leur visite des sites a indiqué que les prélèvements et les analyses de l’eau n’auraient révélé aucune trace de pesticides ni de cyanure. Cependant, il serait ressorti des données un constat d’une très forte turbidité (caractère trouble) de l’eau passant subitement des valeurs de 100 UTN à 2000 UTN. Selon ce rapport, cette valeur élevée est de nature à provoquer la mort de certaines espèces de poissons (figure1). 
Figure 1 : Analyse lexicométrique des causes de la mort des poissons dans les communes de Siby et le village de Sékako
Figure 1
Sources : Enquêtes, 2021
De nos entretiens avec des auteurs dudit rapport, il en ressort que chaque année, ce phénomène intervient dans différents cours d’eau du Burkina Faso. Il serait favorisé par les labours de pré-campagne agricole. C’est dans ce sens que Monsieur M.K, représentant du Haut-commissaire de la région a affirmé ceci :
Chaque années, il nous revient des cas de morts de poissons que les techniciens du Ministère de l’« Environnement attribuent au caractère trouble de l’eau. C’est une situation complexe à expliquer. Cela intervient généralement en début de saison et nous sommes en début de saison. C’est vrai que cette fois ci le nombre de poissons morts est plus élevée, néanmoins nous ne devons pas écartée l’hypothèse de la turbidité de l’eau ».
Le fait de remuer le sol en début de saison pluvieuse le rend friable. C’est ainsi que les premières pluies emportent la terre remuée vers les cours d’eau favorisant de ce fait une certaine turbidité de l’eau. Selon les techniciens de l’agence de l’eau du Mouhoun, certains aquatiques ne résisteraient à cet état trouble de l’eau.
Du côté des orpailleurs, le son de cloche est le même que celui de l’Agence de l’eau du Mouhoun. Le représentant des orpailleurs de Siby a attribué la mort de poissons à la turbidité de l’eau du fleuve. Sur le sujet il déclarait ceci :
« Selon nous c’est la turbidité de l’eau qui a entrainé la mort des poissions. Des agents de l’Etat sont venues faire leur enquête et ils l’ont conclu en affirmant que c’était le caractère trouble de l’eau à cette période qui a tué les poissons. Nous orpailleurs sommes du même avis car ce n’est pas la première fois que cela arrive ».
 Un phénomène régulier en début de saison. Cette vision n’est pas partagée au sein de la communauté des pêcheurs qui affirment que la turbidité de l’eau ne tue généralement que quelques espèces de poissons. Cette conclusion a laissé septiques les autorités locales, les pêcheurs, la population des communes concernées et de la province en général. Ces derniers affirment que tous les poissons ne sont pas concernés par ce phénomène.

3.3. Vision des pêcheurs, des agriculteurs et des autorités coutumières sur les causes de phénomènes : la piste de la contamination des eaux au cyanure

Des analyses de nos informations recueillies auprès de la population locale (pécheurs et agriculture) il ressort que le phénomène de la mort des poissons dans et aux abords du fleuve Mouhoum est exclusivement imputable à la contamination des eaux aux cyanures utilisées par les orpailleurs. C’est dans ce sens que Monsieur S.A, pécheur de la localité s’exprime en ces terme :
« Nous enregistrons fréquemment des conflits avec les orpailleurs qui traitent leur or aux abords du fleuve Mouhoun et souvent dans des espaces souvent non éloignés des concessions ou des champs. Leurs activités sont souvent à l’origine de cas d’intoxication et de mort de nos moutons et nos chèvres. Dans ces situations c’est le ou les propriétaires du bassin qui payent une amande 25000 fr CFA imposée par le Chef de Siby en accord avec le Préfet. ».
En croisant les sources d’information sur l’origine du drame, il est possible de s’accorder pour dire que c’est un produit chimique de type cyanure qui serait à l’origine de l’intoxication des poissons et du bétail retrouvé mort aux abords du fleuve. Selon des sources diversifiées (autorité locale, pécheurs, chef traditionnel et populations locales), tout porte à croire que ce serait un lot de sacs de cyanures laissés le long des rails par un train en passage à Sékako qui auraient coulé du fait de la pluie et qui se serait déversé dans le fleuve. Cette hypothèse est défendue par certaines autorités locales notamment le chef traditionnel de Siby. Selon lui les traces d’herbes brulées par le produit concerné sont des indicateurs que les abords du fleuve étaient couvertes par endroit de produits chimiques. Les cas de bovins retrouvés morts non loin du site appuie cette hypothèse. Sur l’usage non contrôlée et la dangerosité des produits chimiques issus de l’orpaillage, le chef de Siby affirmait ceci :
« J’ai été maint fois alerté ou informé par les services de santé de plusieurs cas d’orpailleurs clandestins gravement malades ou décédés des suite d’une intoxication aux produits chimiques. Ils utilisent beaucoup de produits chimiques pour le traitement de l’or sans tenir compte de leurs santé et l’environnement. »
Ce n’est en écartant pas ladite piste que les autorités administratives et les responsables des collectivités territoriales des communes de Siby et de Sékaco ont pris des mesures de préventions sanitaires à savoir l’interdiction de la consommation de l’eau du Mouhoun et des animaux morts ont été maintenues en dépit des premières explications du phénomène. Ces mesures avaient donc été gardées comme tels pendant deux à trois semaines avant d’être levées implicitement levés.

3.4. De la réaction des autorités administratives locales

De nos entretiens avec les membres de l’administration locale, il est ressorti que l’hypothèse selon laquelle les poissons et le bétail seraient morts par empoisonnement au Cyanure est fort probable. Pour étayer leurs avis, les autorités rencontrées ont évoqué plusieurs cas isolés d’incidents ayant entrainé la mort d’animaux autres que des poissons. De l’avis des responsables des services de sécurité des Balés, des agents de l’ANEMAS, L’activité d’orpaillage échappe au contrôle des autorités de tutelle. Les sites d’orpaillage sont des sortes de Jungles où les contrôles de l’usage des produits sont quasi impossibles. Les orpailleurs utilisent toutes sortes de produits chimiques venant des pays voisins sans qu’aucune autorité n’ait un regard sur leurs dangerosités pour l’écosystème. Sur ce sujet, l’adjudant .M.S.de la brigade de gendarmerie des Balés s’exprimait en ces termes :
« Sans renforts conséquent mon unité ne peut pas entrer sur le site Minier de la zone pour interpeller un quelconque orpailleur, parce que la zone est une sorte de No mans land ou se mène toute sorte de trafic de produits diverses ».
Les activités de traitement des mottes de terre contenant de l’or sont traitées avec ces produits chimiques aux abords du fleuve et souvent dans ou à côté des espaces de production agricole. Cette dernière situation a souvent provoqué des conflits ouverts ayant nécessité l’intervention des forces de l’ordre. Devant le développement de ces activités de traitement à ciel ouvert de l’or et de ses conséquences préjudiciables pour l’environnement et la santé humaine, les services des eaux et forêts ont procédé au déguerpissement de certains sites de traitement entrainant le déportement des orpailleurs vers la ville de Sékako. Ces réalités confortent les autorités administratives locales à indexer l’orpaillage traditionnel non contrôlé comme responsable de la pollution des eaux du fleuve et donc de la mort massive des poissons dans le fleuve.

Conclusion

La province Balés abrite le plus grand fleuve du Burkina Faso. Une source d’eau que le pays partage avec le Ghana est source de rentabilité économique à cause de l’importance des activités qui s’y déroulent. Cependant ces dernières années le développement de l’orpaillage dans ladite province expose les sources d’eau de la province à la pollution aux produits chimiques tels que le cyanure. Le cyanure est utilisé pour lixivier l'or des roches, mais il peut s'infiltrer dans les sols et les cours d'eau voisins, causant des dommages environnementaux et des risques pour la santé humaine.
La mort massive de poisson et d’autres animaux dans les Balés se présente comme un problème majeur à même d’affecter la santé humaine, la faune et la flore, ainsi que l'économie.  C’est ainsi qu’à la survenue du phénomène, les autorités du Burkina Faso ont enjoint les structures techniques en charge des eaux et de l’assainissement de même que les autorités locales de déterminer les causes réelles du phénomène afin de prendre des mesures préventives fortes. Dès les premières constations, les services techniques de l’ONEA se sont rendus sur les lieux afin de procéder au prélèvement et à l’analyse des échantillons d’eau du Fleuve. Ils ont alors conclu que la mort des poissons était due à la turbidité de l’eau du fleuve causée par les labours précédant la saison agricole. Cette version soutenue par les orpailleurs a été battue en brèche par les populations ainsi que les autorités locales de la commune de Siby. Pour ces derniers, ce serait l’usage non contrôlé du cyanure par les orpailleurs qui est à l’origine du phénomène.
Le cyanure est une substance hautement toxique qui peut provoquer des dommages irréversibles sur les écosystèmes et les personnes qui sont exposées à des doses élevées. Les communautés locales qui vivent près des sites d'orpaillage sont particulièrement vulnérables à la pollution des eaux au cyanure. Dans les zones de Siby et de Sékasso, les populations locales ont indexé les produits chimiques issus de l’orpaillage comme la cause du phénomène. Ils ont ainsi invité les autorités à accentuer les contrôles et à sévir contre les dérives, car elles dépendent souvent de ces sources d'eau pour leur consommation et leurs activités quotidiennes. Les autorités locales ont également épousé la version des populations en réclamant une meilleure organisation de l’orpaillage dans la province des Balés.
Des efforts ont été déployés pour réglementer l'utilisation du cyanure dans l'orpaillage au Burkina Faso, notamment en renforçant la surveillance et la réglementation de l'industrie minière. Cependant, la mise en application de ces réglementations peut être difficile, car l'orpaillage illégal est souvent pratiqué par des personnes qui ne respectent pas les normes environnementales et sanitaires. Il est essentiel de continuer à sensibiliser les communautés locales aux dangers de la pollution des eaux au cyanure et de trouver des solutions durables pour réduire l'impact de l'orpaillage sur l'environnement et la santé publique.

Références

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Publié

31 Juillet 2023

Comment citer

Revue Espace, Territoires, Sociétés et Santé ,[En ligne], 2023,, mis en ligne le 31 Juillet 2023. Consulté le . URL: https://www.retssa-ci.com/index.php?page=detail&k=304

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