Introduction

L'eau est la ressource naturelle la mieux distribuée dans le monde (O.L.R.Akiyo, 2017, p.1728). Cette importante ressource a plusieurs fonctions socio-économiques et environnementales qui ne peuvent être ignorées (S.Ghiotti, 2006, p.32). Elle est indispensable dans l’alimentation, la nutrition, l’hygiène et la santé. Dans ce cas, elle doit être potable (C. Okello et al., 2015, p. 1264). La consommation d'eau de mauvaise qualité constituerait alors une atteinte à la vie de l'individu. C'est pour cette raison que la potabilité de l’eau de boisson est une préoccupation mondiale. Cette analyse est partagée par plusieurs personnalités du monde de la recherche dont le Dr LEE Jong-wook, ancien directeur général de l'OMS lors de la cérémonie de lancement de la décennie internationale d'action sous le thème :  l'eau, source de vie. Selon lui, l’eau et l’assainissement sont indispensables à la santé publique. Ils  en constituent la base et lorsqu’on aura garanti à tout un chacun, quelles que soient ses conditions de vie, l’accès à une eau salubre et à un assainissement correct, la lutte contre un grand nombre de maladies aura fait un bond énorme (OMS,  2004, p.1). En conséquence, l’approvisionnement des populations des pays en eau potable a connu une importante amélioration. En milieu urbain au Bénin, la stratégie nationale d’action adoptée par le gouvernement consiste à étendre les réseaux urbains de distribution d’eau en vue de favoriser les branchements promotionnels des ménages à l’eau de la SONEB. Or, l’une des caractéristiques de l’urbanisation, et donc, d’une ville comme celle de Parakou, est le développement quotidien des activités économiques extrafamiliales. Ainsi, les besoins de consommation d’eau potable par les individus ne s’expriment pas seulement au sein de leur ménage dans lequel ils n’y passent d’ailleurs que peu de temps mais plutôt s’expriment intensément à l’extérieur de celui-ci où il n’y a pratiquement pas des installations de point d’accès collectif à l’eau de SONEB au cours des périodes de travail (administrations, marchés, restaurants, ateliers, centres de santé, écoles, centres de formation, parcs automobiles, etc.) ou d’autres activités (religion, loisir, cérémonies diverses). Pour corriger la situation, la population consomme d’autres sources d’eau généralement ensachées de qualité douteuse (odeurs, couleurs et goûts variés) ; donc suscitant des inquiétudes pour la santé.  En effet, si cet aspect est peut-être négligeable dans les milieux ruraux, la théorie d’approche ménage d’accès à l’eau potable n’est pas totalement vraie dans la ville parce que les gens passent moins de temps à l’intérieur des ménages.  Déjà qu’au Bénin, la transition démographique a profondément affecté la disponibilité en eau qui est passée de 6200 m/habitant/an en 1955 à 1400 m3/habitant/an en 2011 (T. Dietz et al. 2014, p.12).

La présente étude, qui se déroule dans la ville de Parakou, veut ainsi répondre aux questions de recherche ci-après : Quels types d’eau consomme la population en milieu extrafamilial dans la ville de Parakou ? Quelle est la qualité des eaux ensachées généralement consommées par les individus hors ménage ?

Le présent article se donne pour objectif principal d’analyser la qualité des eaux ensachées consommées majoritairement en milieu extrafamilial à Parakou.

Méthodologie

1. Données et Méthodes

1.1. Espace d’étude

La présente étude est menée au Nord-Est du Bénin dans la ville de Parakou située dans le département du Borgou. Elle est entre les parallèles 9°16’30’’ et 2°41’30’’ de latitude Nord et entre les méridiens 2°30’30’’ et 2°41’30’’ de longitude Est. Les précipitations moyennes annuelles sont de 1200 mm. La SONEB se charge de mettre à la disposition de la population de Parakou de l’eau potable. Sur le plan démographique, la population de Parakou est passée de 103 577 habitants en 1992 (INSAE, 1994) à 149 819 en 2002 (INSAE, 2004) puis à 255 478 en 2013 (INSAE, 2016).

Dans la conduite de l’étude, un échantillon de 24 quartiers sur 48 que compte la ville de Parakou est retenu suivant la méthode d'échantillonnage raisonnée. Les quartiers sont identifiés en fonction de leur niveau d’urbanisation (existence de services administratifs, présence d’écoles, de centres de santé, de marchés, de gares routières et d’autres infrastructures), vu que l’étude s’intéresse essentiellement aux quartiers qui forment le centre urbain de Parakou.

La carte n°1 ci-après présente la ville de Parakou et les unités d’enquête.

Carte n°1 : Situation géographique de la ville de Parakou et distribution spatiale des quartiers enquêtés  

Source : IGN 2006-2007 et données de terrain 2022

1.2. Sources et qualité des données

Les sources de données sont issues d’une enquête sociodémographique et expérimentale.  L’enquête sociodémographique s'est déroulée dans la ville de Parakou sur une période d'un mois du dix juin au 11 juillet 2022 et visait à identifier d’abord les sources d’eaux consommées par les populations dans leur milieu extrafamilial. Pour la phase expérimentale, les résultats d’analyse de 66 échantillons provenant des structures privées de fourniture d’eau de boisson ensachée analysés par l’Unité Départementale d’Analyse de la Qualité de l’Eau du Borgou (UDAQ/B) sont collectées afin d’évaluer leur qualité, conformément, aux critères de potabilités définis par le gouvernement du Bénin dans son décret n°2001-094 du 20 Février 2001 et l’OMS (2011).

1.3. Echantillonnage des unités d’enquête

L'échantillonnage des unités d'enquête dans cette étude a suivi un plan raisonné à deux degrés. Au premier degré d'échantillonnage, 53 sites extrafamiliaux sont sélectionnés dans la ville de Parakou sur les 24 quartiers identifiés pour l’enquête. Ces sites sont par la suite répartis en deux groupes en fonction de leur niveau d'attraction : les sites à niveau d'attraction élevé et les sites à niveau d'attraction faible. Les 53 sites sont choisis en fonction de cette stratification, avec 19 sites à niveau d'attraction faible et 34 sites à niveau d'attraction élevé. Les critères qui ont permis de juger du niveau d’attraction des sites sont le niveau de fréquentation des sites par la population, la réalisation des activités extrafamiliales, les infrastructures installées sur les sites, et surtout la présence d’un cadre de restauration.

Enfin, un échantillon de 15 à 20 personnes a été systématiquement enquêté par site, en fonction des critères d'inclusion de l'étude, c'est-à-dire la présence de l'individu sur l’un des sites identifié entrain de consommer de l'eau au moment de l'enquête. Au total, 959 individus ont été enquêtés.

1.4. Données collectées

Le questionnaire a permis d’obtenir des informations sur les différentes sources d'eau disponibles et accessibles aux consommateurs sur le lieu de l'enquête. Il s’est aussi intéressé aux habitudes de consommation (eau consommée au moment de l'enquête, eau souvent consommée en dehors du domicile), aux caractéristiques socioéconomiques (niveau d'instruction, formation professionnelle, profession, activité économique) et démographiques (âge, sexe). Les résultats d’analyse des eaux ensachées sont également obtenus auprès de l’UDAQE / B pour appréciation.

1.5. Analyses statistiques

1.5.1. Description des pratiques de consommation d’eau

Deux types d’analyses ont permis de décrire les pratiques de consommation d’eau de boisson en milieu extrafamilial. La première est la statistique descriptive univariée qui est utilisée pour résumer les caractéristiques (démographiques et socioéconomiques) des enquêtés et les fréquences de citation des sources d’eaux consommées. La deuxième est l’analyse des Facteurs de Correspondance (AFC) qui a permis de comprendre les comportements de consommation en relation avec les caractéristiques socioéconomiques et démographique des enquêtés. L’AFC a été effectuée avec des variables que sont : les sources d’eau disponibles sur le lieu de l’enquête (variable dont les modalités sont à choix multiples, chacune de ces modalités ont été donc transformé en une variable dichotomique), l’eau consommée au moment de l’enquêté, la consommation de l’eau de SONEB dans le ménage et en dehors du ménage et l’eau la plus souvent bue en dehors du ménage. L’AFC a été réalisée avec le logiciel R 3.6.2.

  1.5.2. Détermination de la potabilité de l’eau

Pour l’analyse des eaux ensachées l’étude s’est conformée aux normes OMS et béninoises en vigueurs. D’après l’OMS (2017, p. 221), la qualité d'une eau est définie à travers les paramètres non seulement organoleptiques mais aussi physiques, chimiques et biologiques ou microbiologiques. La norme de potabilisation de l’eau proposée par l’OMS exige qu’elle remplisse un certain nombre de conditions. Ainsi, au-delà de ces normes, l’eau est donc considérée comme un risque pour le consommateur. Selon les normes de l’OMS, une eau potable doit être exempte de germes pathogènes et ne doit contenir certaines substances chimiques qu’en quantité limitée donc tolérable pour l’organisme (M.Fassinou, 2022, p. 446).

Les tableaux n°1 et n° 2 ci-après présentent respectivement les normes de potabilité de l’eau suivant les paramètres microbiologiques et physicochimiques.

Tableau n°1 : Normes microbiologiques des eaux de boisson

Source : Normes de qualité de l’eau Bénin (Decret n° 2001-094 de 20 février 2001) et OMS (2011).

Dans le cadre de cet article seuls les paramètres E. Colis et Coliformes fécaux sont étudiés. Ces paramètres étant les principaux indicateurs de pollution de l’eau.

Tableau n°2 : Normes physicochimiques des eaux de boisson

PVG = Pas de Valeur Guide

Source : Normes de qualité de l’eau Bénin (Decret n° 2001-094 de 20 février 2001) et OMS (2011)

Résultats

2. Résultats

2.1. Caractéristiques des personnes enquêtées

Sur les 959 personnes enquêtées, 40,46% sont de sexe féminin contre 59,54% de sexe masculin. Ils ont un âge moyen de 26 (±11) ans. En termes de scolarisation 81,23% soit 779 personnes, ont reçu une éducation formelle. 180 personnes sont non scolarisées, soit 18,77% (tableau n° 3). Parmi les individus scolarisés, 18,25% ont comme diplôme le plus élevé le Brevet d’Etudes du Premier Cycle (BEPC) et 16,68% sont sans diplôme. Pour ce qui concerne l’activité principale menée par ces enquêtés, 46,82%) sont sans emploi (élèves, écoliers, étudiants, apprentis à un métier, mendiants, etc.), 22,11% sont dans le commerce et les autres (31,07%) dans l’artisanat, l’administration, l’enseignement, la santé, le transport.

Tableau n° 3 : Répartition des enquêtés suivant leur niveau d’instruction

Source : Résultats de terrain, 2022

2.2. Pratiques de consommation d’eau de boisson dans le milieu extrafamilial

Au moment de l’enquête, 41,19% des individus enquêtés consommaient de l’eau ensachée. Ils sont respectivement 28,26% et 23,36% qui consommaient de l’eau déposée dans un contenant par le vendeur et l’eau de la SONEB (Figure n°1). Ainsi, la majorité des individus enquêtés, buvait au moment de l’enquête de l’eau ensachée ou de l’eau contenue dans de récipients en provenance de sources diverses.

Figure n°1 : Distribution de fréquences des comportements de consommation au moment de l’enquête

Source : Résultats de terrain, 2022

Les résultats montrent par ailleurs (Figure n°2) qu’une fois à l’extérieur, un peu moins de la moitié (soit 45,67%) des enquêtés consomment plus l’eau ensachée. Par ailleurs, 32,95% de ces enquêtés boivent le plus souvent de l’eau de SONEB en dehors du ménage.

Figure n° 2 : Distribution de fréquences des eaux généralement bues dans le milieu extrafamilial         

Source : Résultats de terrain, 2022

2.3. Types d’eau de boisson consommés dans le milieu extrafamilial selon le niveau sociodémographique et économique des enquêtés

L’AFC montre que les deux premiers axes expliquent 76% de l’ensemble des informations (Figure n°3). Elle permet de montrer les liens entre le profil sociodémographique des enquêtés et le type d’eau consommée en milieu extrafamilial. Quatre regroupements d’individus sont identifiés suivant la source d’eau consommée.

Le premier groupe (cluster 1), est constitué de commerçants, d’artisans, de transporteurs de marchandises, d’agriculteurs, n’ayant pas de diplôme ou ayant un diplôme élevé le CEP ou au plus le BEPC rencontrés en majorité dans les marchés et les maquis populaires. Les personnes de ce groupe boivent plus l’eau de puits, l’eau de citerne ou l’eau apportée dans un contenant par le vendeur et parfois l’eau ensachée.

Le deuxième groupe (cluster 2) est composé surtout de personnes ayant une tranche d’âge comprise entre 18 et 30 ans donc les plus jeunes et disposant d’un diplôme élevé (BAC, BTS.BAC2 et LICENCE). Ce sont pour la plupart des conducteurs de véhicules (CondVeh) et des étudiants (Inactifs) qu’on retrouve le plus dans les autogares (autogares) et les universités. Ce groupe est constitué de personnes consommant plus l’eau ensachée.

Le troisième groupe (cluster 3) est formé de fonctionnaires (Administratifs de structures diverses, agents de santé, enseignants et autres) et des personnes qu’on retrouve sur les sites religieux. Ces derniers consomment de l’eau embouteillée (EBMEM), de l’Eau de puits (EBMEP) ou de l’eau de SONEB (EBMSONEB) dans leur ménage.  Cependant, lorsqu’ils sont en dehors du ménage, ils préfèrent, en grande partie, consommer l’eau de la SONEB.

Le quatrième groupe (cluster 4) est composé des personnes ayant le Master ou le DEAT (MASTER.DEA.BAC.5) et le Doctorat. Dans ce groupe, figurent des agents de santé, des prédicateurs ou des restaurateurs. La particularité de ce groupe est qu’il est composé d’individus qui consomment en grande partie l’eau embouteillée lorsqu’ils se retrouvent hors de leur ménage.

Figure n°3 : Relation entre le profil socioéconomique et démographique des enquêtés et le type d’eau consommée en milieu extrafamilial.

                                                                      Source : Résultats de terrain, 2022

L’AFC montre qu’à Parakou, les personnes, en fonction de leur niveau intellectuel ou activité et indépendamment du fait qu’elles disposent ou non l’eau de SONEB dans le ménage, consomment dans le milieu extérieur des variétés d’eaux : eaux de SONEB, de puits, des contenants, ensachée ou embouteillée formelle. Cependant, celle la plus bue reste l’eau ensachée produite dans le secteur privé à partir de sources d’eau différentes. La situation a retenu l’attention. Les résultats d’analyse des eaux ensachées ont ainsi fait objet d’interprétation pour apprécier leur potabilité.

2.4. Qualité microbiologique des eaux ensachées consommées dans la ville de Parakou

L’évaluation de la qualité des eaux de boisson s’est effectuée en comparant les résultats d’analyse avec les normes fixées par l’OMS (OMS, 2017 : p. 25).

Le tableau n° 4 ci-dessous présente les résultats d’analyse microbiologique des échantillons d’eaux ensachées prélevées auprès des structures privées de fourniture d’eau de boisson. Deux paramètres microbiologiques que sont les Escherichia Colis (E. Colis) et les Coliformes Fécaux (CF) sont recherchés. Les E. colis et les CF étant des bactéries indicatrices de pollution de l’eau les plus répandues (E. Hounsounou et al., 2016 : p.2396).

Tableau n°4 : Résultats d’analyse microbiologique des échantillons d’eaux ensachées à Parakou

Source : Résultats d’analyse d’eau, 2021

Les résultats d’analyse microbiologique aux E. Colis et CF montrent que sur l’ensemble des échantillons d’eaux, 70% présentent des risques sanitaires de contamination microbiologique élevée (figure n°4).

Figure n°4 : Proportion d’eaux ensachées contaminées

Source : Résultats d’analyse d’eau, 2021

Les résultats d’analyse physicochimiques sont regroupés dans le tableau n°5 suivant :

Tableau n°5 : Résultats d’analyse physicochimique des échantillons d’eaux ensachées à Parakou

Source : Résultats d’analyse d’eau, 2021

Les valeurs des paramètres étudiés comparées à celles recommandées permettent de dire que, la température de tous les échantillons d’eau est au-delà de la norme. Certaines eaux sont acides aussi (pH inférieur à 6.5). Par rapport à la Conductivité, les solides Totaux Dissouts (STD) les chlorures et l’oxygène dissout, on observe une conformité avec les normes de l’OMS et même celles du Bénin.

Conclusion

Globalement dans ce travail, que l’individu ait accès ou non à l’eau potable de SONEB dans son ménage, les comportements ne diffèrent pas vis-à-vis de l’eau de boisson dès que la source d’eau potable formelle de la SONEB devient inaccessible dans son milieu extérieur. L’eau ensachée vient donc le plus souvent en alternative et reste la principale eau bue à cause de son abondance sur le marché et de son prix. Toutefois, cette eau représente un danger potentiel pour les consommateurs puisque les résultats de l'analyse des échantillons d’eau ont montré des niveaux élevés de contamination bactérienne et des inconformités physicochimiques. Cette situation soulève des préoccupations en matière de santé publique ; celles de l’amélioration de l'accès à l'eau potable dans les milieux extrafamiliaux et la nécessité de la réglementation de la filière de distribution de l’eau fournie par les particuliers aux populations dans un contexte de croissance démographique urbaine galopante.

Références